Civil War

Publié le par JSUL


Super Facho

Lorsque Marvel s'essaie à la politique, la maison d'édition avance masqué. Généralement pas en finesse. Civil War confirme mais se révèle autrement plus alléchant que ce qui nous a été donné de lire depuis... Depuis quand ? Imaginez : une loi sur le recensement des super-héros vient d'être adoptée. Deux camps de héros se forment ; les pro-gouvernementaux dirigés par Iron Man, et les rebelles emmenés par Captain America. Une métaphore post USA Patriot Act pas aussi bouleversante ni complexe qu'un Watchmen mais bien plus stmulante qu'on ne l'attendait. Maintenant, fermez les yeux. Ça fait mal.



Bas les masques

L'univers Marvel Comics (maison d'édition surnommée Maison des Idées créée dans les années 40) est peuplé d'illustres héros américains regroupés dans diverses séries qui copulent entre elles, formant une mythologie à la fois bordélique, chimérique et foisonnante, frisant, il faut l'avouer, le grand n'importe-quoi. Parmi les plus célèbres superstars, allez, citons volontiers Spider-Man, les X-Men, Iron Man, Captain America, Hulk, les 4 Fantastiques... La plupart - mais pas tous - combattent le crime sous une identité-totem censée protéger leur vie privée et leurs proches, même si, de manière implicite, c'est indéniablement plus classe de fouetter du vilain dans un costume moulant. Tout se passe bien pour eux de ce côté là, la liberté est totale concernant le port (ou pas) du masque/casque/bandana/lunettes rouges. Jusqu'au jour mortuaire où une équipe de jeune super-héros acteurs d'une émission de TV-réalité, les New Warriors, portés par le fougueux SpeedBall, font la boulette du siècle au nom du Saint Audimat : voulant montrer leurs compétences devant le monde entier, en plein quartier résidentiel, ils s'attaquent à plus fort qu'eux ; de dangereux criminels dont l'explosif Pyro. Ce dernier, pour se défendre, s'embrasse et explose, réduisant en cendres le périmètre, familles, enfants et cochons d'Inde. Retransmis sur les chaînes nationales, l'incident sert d'occasion au gouvernement d'imposer une mesure drastique : réglementer la fonction de justicier, recenser et en faire des fonctionnaires-soldat. Iron Man, épaulé par Red Richards et Hank Pym, regroupe les héros qui soutiennent cette loi. Cap
tain America organise la résistance au côté du Faucon. Et nous, lecteurs, de choisir notre camp...






Ne partez pas tout de suite

Inutile de dire que la saga Civil War a bousculé l'univers Marvel. Les répercussions ont été totales, valables pour toutes les séries, provoquant un foin pas possible dans l'esprit déjà embrouillé du lecteur de comics qui aurait loupé le tournant historique. Les bouleversements étant considérablement complexes pour le non-initié, on en parlera ici en termes profanes. Simplifions-nous la (super-) vie.




Super-pouvoir d'achat

Chez nous, c'est toujours Panini Comics qui distribue et a prévu pour l'occasion de réunir les grandes lignes de l'histoire Civil War en trois tomes (Civil War/Vendetta/La Mort de Captain America) disponibles sous trois formes : Tomes par tomes en paper-cover, en cartonné (30 euros), et réunis dans un coffret édition limité à 999 exemplaire pour 99 euros. C'est de cette dernière édition dont il sera question ici même si le coffret ne change pas énormément de choses. D'ailleurs crevons l'abcès, il sera à réserver aux fan-boys désireux de ne pas bousiller la déco de leur appartements. Car les suppléments, la boîte mise à part, sont sommaires. Mettons au singulier. L'unique objet réservé aux possesseurs de cette merveille est une édition fake du Daily Bugle, journal fictif du monde Marvel durant les événements Civil War. Fort intéressant et très ressemblant à un véridique quotidien, on y trouve des articles décalés et virulents passionnants. La où le bât blesse, c'est lorsque l'on connaît le prix de vente de l'objet aux U.S.A. : 0,50 dollars... Tout est dit. Mais bon, s'il y a bien un achat comics luxueux - paru cette année évidemment, on tient le bon.






Lorsque que Captain America se prend pour G. Washington

Parce qu'il faut dire que la saga vaut son pesant de cacahuète. Pas tant pour la raison évidente de pouvoir assister sur une même page à un regroupement hallucinant de super-héros - on avait déjà goûté à cela avec les Secret Wars ou Onslaught par exemple - mais plutôt pour le fond évoqué en filigrane. Le coffret ne contient pas l'intégralité du crossover Civil War. Cependant les arcs les plus indispensables, les plus marquants, dans le fond, sont présents.
L'intrigue de Civil War puise clairement ses sources dans le lamentable Patriot Act (oct. 2001) signé par G. W. Bush après le 11 septembre 2001, renforçant significativement les pouvoirs des agences de renseignements US. Remplacez l'effondrement des deux tours par l'explosion d'un terroriste mutant, transformez le Patriot Act en Super-Human Registration Act, déguisez Iron Man et consorts en Conservateurs et Captain America en défenseur acharné de la démocratie. Remuez le tout dans un tonnerre de bastons fratricides et de répliques moralisatrices : vous obtenez Civil War, preuve que, contrairement à ce que peut dire Alan Moore, le comics est manifestement en train de mûrir pour s'adapter à un lectorat de plus en plus exigent et surtout plus mature.
D'autant que Civil War traîne la vieille et indispensable rengaine plus ou moins piochée chez Neil Gaiman : que seraient ces super-héros, demi-dieux, surhommes, sans la foi du commun des mortels ? Celle-là même qui les font exister et les nourrissent ? Une question sur notre rapport direct aux comics et une mise en abîme aussi éculée que passionnante, adaptable à l'ensemble de la culture pop... Plus de détails ? Allez lire American Gods de Gaiman.





Douche froide

"Dans Quel camp êtes-vous?". La Base-line du crossover est très alléchante au premier abord : vous placez-vous du côté d'Iron Man et sa foi inébranlable à la loi sur le recensement ou priorisez-vous, comme Captain America, la liberté à la sécurité ? Plus on avance dans le comics, plus la question n'a plus à se poser en réalité. D'une part parce que la nature penche le plus souvent vers ce qui est interdit plutôt que vers ce qui imposé ; d'autre parce que, et surtout, Iron Man et ses alliés passent clairement pour de dangereux (crypto) fascistes. Les nombreux scénaristes sont plus ou moins nuancés mais lorsque le génial J.M. Straczynski montre Peter Parker (alias Spider-Man) découvrir les centres de détention pour rebelles super-héroïques, il n'y va pas avec le dos de la cuillère. Si la ressemblance avec les camps de concentration et terrible, il faudra davantage y voir une comparaison à peine déguisée avec le Camp de Guantánamo. Les messages et paroles échangés sont forts de messages politiques.
Quel dommage que le comics Marvel soit si redondant et si peu subtile. Le coffret 3 volumes croisant les séries Spider-Man / Wolverine / Captain America, on y entend souvent les mêmes choses. L'effet renforce la crédibilité de microcosme, permet au lecteur d'avancer progressivement de révélations en horreurs. Malgré tout, il est conseillé de prendre son temps entre deux volumes, histoire de ne pas avoir envie de voir l'intégralité des super-héros finir entre quatre murs (indestructibles), le temps pour eux de réfléchir aux stupidités qu'ils déglutissent de temps à autre.






Marvel Team ? Rompez !

Une équipe de joyeux scénaristes et dessinateurs, presque tous des boss, font ici leur honnête travail. Exceptés les traditionnels Mark Millar et Brian Bendis, qui posent les bases de la guerre civile, le reste du staff ne se trouent pas plus que cela. Attention, tout est très correct, mais n'est-on pas en droit d'attendre quelques poussées folles, une certaine originalité tonitruante à la hauteur de l'événement, un truc-machin-chose version ultra qui ferait taire les mauvaises langues cracheuses de bave sur le Comics (parfois à raison). Une révolution, finalement...
Au dessin, on retrouve les habituels, parfaits, à défaut, encore une fois, d'être surprenants. Tous sont là ou presque : master Romita Jr., l'incroyable McNiven, l'étrange Ramos, etc. Bref, de ce côté, rien à signaler Captain, c'est la classe américaine. Ni moins... Ni plus.





Ce n'est pas la première fois que les super-héros Marvel se tapent sur la gueule. Ce n'est pas non plus un travail d'orfèvre indispensabe. Civil War n'est certainement pas le meilleur comics du moment, ni le meilleur crossover. Civil War est simplement la preuve que le Comics, déjà enterré dans le jardin du conformisme, sait s'adapter au monde qui l'entoure et n'est plus cet enfant autiste qui lui a valu tant de colibets bien mérités par la passé. Considérons cette oeuvre comme ce qu'elle est : une correcte métaphore hypothétique de l'évolution fasciste des Etats-Unis d'Amérique, remplie de phases marquantes et de passages ennuyeux, d'ellipses bienvenues et de dialogues ringards. Bref, Civil War reflète suprêmement ce que l'on aime et déteste dans le Comics d'aujourd'hui : un fourre-tout fastidieux formulant forte propension à créer quand même du rêve. 

Publié dans Littérature

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