Quartett, de Heine Müller

Publié le par JSUL


Violent dépucelage

 

C’était voué à l’échec : La première pièce de théâtre contemporain qu’il m’ait donné de voir s’appelle Quartett. Dans cette première scène, Isabelle Huppert, grande marquise enrobée de soie mauve, avance, impériale, vers une chaise. Elle est suivie par Ariel Garcia Valdès et le reste des interprètes, le corps raide, les mouvements lents. Lent. Pas moins d’un quart d’heure. Plus de temps qu’il ne m’a fallu pour venir en métro à Odéon. Panne incluse. Pourtant, cette séquelle des Liaisons Dangereuses, est troublante et belle. Quelle mise en scène ! Joutes verbales stylisées précises, incroyablement épurées mais jouissantes de teintes et d’ambiances tranchantes parfois psychédéliques, même apocalyptiques. Dans cette pièce, qui joue avec le temps des protagonistes comme avec le nôtre, les textes d’Heiner Müller raisonnent puis claquent, tantôt crachés, tantôt retenus. D’ailleurs, la pièce a tendance à se jouer de tout, que ce soit l’interprétation ou la mise en scène. Les unités de temps et de lieu sont déformées, le récit déconstruit violemment, propulsé tel un clip musical puis déposé par une brise.





Pourtant, on les écoute, ce Comte libertin et cette Marquise déçue par les hommes, déchue par amour. Tous semblent lutter contre l’invisible. Drôle de manière d’imaginer cela pour un néophyte tel que moi. C’était sans compter sur l’interprétation magistrale, dantesque du génial Ariel Garcia Valdès mais surtout d’Isabelle Huppert, en état de grâce. Surprenante Merteuil, qui réussit un tour de force de chaque instant, brillante comédienne sur qui le temps ne semble ironiquement pas avoir de prise. Isabelle Huppert fait de Quartett ni plus ni moins un cas d’école. Et la pièce, objet d’art mouvant, toile de chaque instant, photo à chaque mouvement, un dépucelage violent.


Quartett, de Heiner Müller. Avec: Isabelle Huppert, Areil Garcia Valdès
Au théâtre Odéon, Paris, du 28 septembre au 02 décembre.

Publié dans Théâtre

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