Sweeney Todd, le diabolique barbier de Fleet Street (V.O.)

Publié le par JSUL


L’étrange et voluptueuse vengeance de Mister Todd








Quand le chef de file de la gaudriole macabre, Tim Burton, accompagné de sa Helena Bonham Carter et de son pote Johnny, s’attaque à la légende du diabolique barbier de Fleet Street, le cinéphile jubile. Ca va trancher de la jugulaire, découper de l’artère, le sang va couler à flot sur le pavé londonien ! Pas seulement: ça va chanter aussi.


Quinze années se sont écoulées depuis que Benjamin Barker se soit fait ravir, dans l’indifférence totale, sa fille et sa femme par l’ignoble Juge Turpin,. Quinze années, injustement emprisonné, durant lesquelles il a nourrit sa haine jusqu’à être dévoré par elle, physiquement comme psychiquement. Lorsqu’un sinistre trois-mâts accoste sur les quais de la Tamise, Londres sait que Barker n’est plus. Todd, Sweeney Todd, l’a remplacé, et s’apprête à balader ses rasoirs le long du coup de ses bourreaux.



Si l’histoire de Sweney Todd est un conte anglo-saxon très populaire issu du XIXe siècle, c’est aussi une célèbre comédie musicale de Stephen Sondheim. C’est cette version que Tim Burton a choisi d’adapter sur grand écran. Qui mieux que lui pouvait mettre en image, dans une même scène, l’amour et la rage? Qui mieux que Johnny Depp pour camper les traits de Sweeney ? On prend donc les mêmes, mais on ne recommence pas. Réaliser une comédie musicale, genre qui jouit d’une bien pauvre réputation, était un pari musclé.


Singin’ in the blood

De chants et de musiques, les précédents longs métrages de Tim Burton en ont souvent été parcourus; que ce soit dans des films d’animation tels que L’Étrange Noël de Mister Jack ou Les Noces Funèbres, ou en intermittence dans Batman ou BeetleJuice et surtout dans Charlie et la Chocolaterie. Ici, Tim Burton se fait plaisir. Mais, ne nous y trompons pas - autant prévenir - Sweeney est une comédie musicale autant qu’un conte chanté. Car les passages musicaux se substituent aux dialogues et inversement. Les chansons, admirablement interprétées avec humilité, se calent avec une fluidité exemplaire entre les séquences parlées. Par conséquent, les transitions, loin d’être barbantes, sont très agréables. Mieux, la musique, supervisée par Stephen Sondheim lui-même et interprétée par un orchestre de plus de 60 musiciens, multiplie les émotions et distille la puissance.




Sweeney Todd n’est pas un film hommage à la comédie musicale originale, mais plutôt une adaptation fidèle et très respectueuse de l’oeuvre de Sondheim. D’ailleurs, la production se rapproche sur de nombreux points, non pas de l’opéra mais du théâtre. La mise en scène en huit clos y est certes pour beaucoup mais pas seulement: l’intimité qui se dégage de certaines scènes, de même que la proximité ou l’art du mouvement et le choix des lieux d’action font irrémédiablement penser à la mise en scène théâtrale. Ce qui donne une âme à l’ensemble, permet à Tim Burton de signer l’une de ses plus belles réalisations.



Esthète de mort

Burton avait quelque peu mis de côté ses inspirations qui avaient assis sa réputation et défini son imaginaire: la mort, le sang, les contes mystérieux, équivoques et gothiques, l’amour des monstres. Il revient à ses premiers amours avec un Sweeney sanglant, mélancolique et déphasé. La joie de diriger la vendetta du barbier de Fleet Street est palpable. Le souci du détail est impressionnant, de même que la mise en scène, tantôt épurée, tantôt léchée, tantôt aiguisée comme un rasoir. Son goût pour le contraste est imposant, que ce soit dans la narration comme dans la pure technique. La palette des couleurs oscille entre le noir (Sweeney), le gris (Londres) et le rouge (les autres). La lune est souvent la seule lumière révélatrice du visage de M. Todd. La direction de la photographie, de Dariusz Wolski est parfaite.


Si Tim Burton renoue avec les débuts, on ne peut que rester bouche bée devant le chemin parcouru depuis Pee Wee et Beetlejuice. S’il laisse toujours son esprit vagabonder dans les limbes du royaume des rêves sinistres, sa caméra est désormais plus incisive, intelligente et finalement plus efficace. Malgré tout, son style regorge de trouvailles, et l’inventivité, qu’il déploie dans certaines scènes, est tout bonnement jouissive. On pense à la balade onirique et meurtrière de Sweeney/Johnny dans Londres, les rasoirs à la main, ou mieux encore, aux visions idylliques de Mrs Lovett/Helena B. Carter concernant son amour utopique avec le tueur. Tim Burton, s’il ne signe pas son film le plus atypique et charmant, réalise son film le plus séduisant.



Du corps à l’ensemble

Reste à parler des acteurs, tous formidables. Les seconds rôles savoureux, se distinguent de manière très originale. Leur spécificité permet au film de montrer Londres comme un immense bestiaire, touchés par la grâce (Jayne Wisener, qui joue Johanna) comme la crasse (l’ignoble Bailli Bamford, interprété par le grand Timothy Spall). La drôlerie (Sacha Baron “Borat” Cohen, le concurrent de Sweeney) côtoie le vice (le trop rare Alan Rickman, objet de vengeance de M.Todd). Dans cet univers souillé, Helena Bonham Carter (v. photo), sublime lugubre, fait corps avec le décor, elle, la sinistre aubergiste amoureuse de Sweeney Todd. Une infinie poésie traverse pourtant son large front et ses grands yeux lorsque son personnage, Miss Lovett, se prend à imaginer sa vie avec un mari et un fils. Lorsqu’à l’ombre se substitue parfois la clarté du soleil et la caresse de la mer des Cornouailles. Ce passage du film, totalement délirant et génial, confirme le talent -similaire à Tim Burton- de l’actrice pour la comédie et le décalage.




Johnny le polymorphe

Quant à Johnny Depp, s’il est encore nécessaire de lui cirer les pompes, il exécute une fois de plus un magnifique numéro. Comme à son habitude, il s’accapare parfaitement le noir et ambigu protagoniste. Piochant dans le jeu des grandes figures du cinéma d’horreur (Karloff, Christopher Lee), il n’a jamais ressemblé autant à son idole du muet, Buster Keaton. Sweeney Todd ne rit pas mais verse plus d’une lame. A travers le jeu de regard de Depp et son faciès de marionnette humaine, Sweeney Todd prend forme et se définit: onressent la folie et la colère, bien sûr, mais le véritable tour de force de l’acteur est de savoir le montrer tel qu’il est; un être triste, désespéré, profondément brisé. Evidement, l’acteur ne peut s’empêcher quelques notes d’humour, qui passe par des mimiques devenues caractéristiques. Mais le comique tient du décalage de ses gestes et de ses intonations, avec la réalité. Johnny Depp explique: “Il n’est plus tout à fait lui-même. Il vit au ralenti, dans un décalage permanent, il a toujours un train de retard”. Johnny le caméléon, donne à Sweeney une âme, une voix grave merveilleuse, et un charisme obsédant; et à Tim Burton, il offre son personnage le plus intense. Jamais le macabre ne fut si sensuel.





Tim Burton parvient à condenser son univers gothique et acide, et sublime ses thèmes fétiches. Le réalisateur prend le risque de proposer une comédie musicale baroque, et resplendissante de romantisme et de poésie morbide. S’il ne se réinvente pas, Burton grandit. Quant à Johnny Depp, celui-ci montre une nouvelle fois l’étendu de son art de l’empathie. Si Sweeney Todd est brillant, c’est grâce à la générosité du duo de créateur. S’il est profond, c’est qu’il montre, du point de vue du conte, comme de son effet sur le spectateur, que la joie et la haine ont un point commun : toutes deux sont contagieuses.





Publié dans Cinéma

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